[Revue de presse] Hier au théâtre

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Le concert dépaysant et poétique de Florent Favier

 

Se promener sur les quais de Seine par un bel après-midi ensoleillé n’a pas de prix. En longeant le fleuve, on peut tomber sur la bien nommée La Nouvelle Seine et succomber au Voyage du jeune Florent Favier, concert poétique célébrant l’ivresse du dépaysement. De La Fontaine à Apollinaire en passant par Baudelaire et Rimbaud, le comédien-chanteur concocte un pot-pourri étudié de nos fleurons de la littérature. Sobrement mis en scène par Pénélope Lucbert, il mouille littéralement la chemise avec son acolyte Oscar Clark. Aussi intense que sulfureux.

Incarner des poèmes au théâtre, c’est tout une histoire. Lucchini en a fait sa marotte, écrasant un peu la concurrence sur son passage. Plus modestement, mais avec tout autant d’ardeur, Florent Favier s’est concentré sur neuf poèmes, plus ou moins denses. Pour éviter la récitation plate et sans sel, il convient bien sûr de mettre l’intonation mais aussi de posséder cette capacité de projection qui permette au public de pouvoir s’évader en même tant que le comédien vers des stratosphères paradisiaques, triviales ou inquiétantes.

On commence par l’ode à la liberté chantée dans « Le Loup et le chien », thématisée dans « Ma Bohème », figure du clochard céleste rimbaldien. «  Au Cabaret vert, cinq heures du soir » plante un décor quotidien rempli de tartines de beurre et de jambon blanc. Puis, le souffle poétique prend de l’ampleur avec « Le Voyage » baudelairien et le récit plus grivois et léger de « La Chanson des aventuriers de la mer » hugolien. « Sensation » et « Rêvé pour l’hiver » irriguent un érotisme diffus tandis que Zone célèbre la modernité parisienne. Enfin, Voyage se clôt sur une exhortation à l’ivresse dans « Enivrez-vous » !

On comprend le chemin imaginé par Florent Favier, la trajectoire qu’il souhaite imprimer à sa petite constellation poétique. Un hymne à la liberté, à la femme, au plaisir en somme. Une ivresse des mots, en eux-mêmes déjà un voyage. La puissance d’évocation engendrée par l’agencement rythmique, la recherche des métaphores et des sensations. Bâtir son propre corpus relève forcément d’un arbitraire discutable. On n’aurait clairement pas boudé une plus grande variété (quatre Rimbaud, c’est peut-être beaucoup). On regrettera surtout un manque de prise de risque et d’audace ; sortir de sa zone de confort aurait été appréciable et l’occasion d’une réelle découverte. Le choix ne manquait pas pourtant.

Dandy voyou
Pour autant, il est toujours agréable de ré-entendre des poèmes cultes, surtout s’ils sont aussi bien déclamés, pensés et restitués. Dandy un peu voyou avec son veston et ses baskets blanches, Florent Favier joue les séducteurs enfiévrés avec allure. Son élocution transpire à la fois le sexe et l’étrangeté ; la fascination et l’exaltation. Il se saisit du micro comme d’une femme offerte à ses étreintes ; son petit côté canaille n’est pas pour déplaire. Plus crucial, il parvient à habiter chacun des mots qu’il prononce ; il les vit de l’intérieur et les distribue généreusement à son public. La guitare ou la basse électrisante d’Oscar Clark pimente l’affaire et l’emmène vers des rivages plus rock. Un Voyage prévisible dans son corpus ; beaucoup moins dans sa restitution léchée, troublante et un brin voyou. ♥ ♥ ♥

VOYAGE de Florent Favier d’après Guillaume Apollinaire, Victor Hugo, Charles Baudelaire, La Fontaine, Arthur Rimbaud. M.E.S de Pénélope Lucbert. Théâtre de la Nouvelle Seine. 01 43 54 08 08. 1h.

© Tiski

@Thomas Ngo Hong

J’atteste

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J’atteste qu’il n’y a d’être humain
que celui dont le cœur tremble d’amour
pour tous ses frères en humanité
Celui qui désire ardemment
plus pour eux que pour lui-même
liberté, paix, dignité
Celui qui considère que la Vie
est encore plus sacré
que ses croyances et ses divinités
J’atteste qu’il n’y a d’être humain
que Celui qui combat sans relâche
la Haine en lui et autour de lui
Celui qui,
dès qu’il ouvre les yeux le matin,
se pose la question:
Que vais-je faire aujourd’hui
pour ne pas perdre ma qualité et ma fierté
d’être homme?
Abdellatif LAÂBI,
le 10 janvier 2015
in Je rêve le monde, assis sur un vieux crocodile, Editions Rue du monde